[Un jardinier d’autrefois]  [Les premiers Begonia]  [Un homme aux doigts verts]

Vincent Millerioux

Patrick Rose

 

Merci de citer ce travail comme suit :

ROSE Patrick (1992)

Vincent Millerioux

Hommes et Plantes – Revue trimestrielle du Conservatoire des Collections Végétales spécialisées

N°1, mars 1992

 

Rochefort, en Charente Maritime , s'enorgueillit depuis 14 ans de posséder la plus importante collection de Begonia d'Europe. A l'origine de celle-ci, un homme de grand mérite qui n'a pourtant jamais beaucoup fait parler de lui.

Vincent MilleriouxUn homme a consacré sa vie aux plantes rares et en particulier au Begonia. Cela commença par les rex, aux feuilles panachées de toutes les couleurs imaginables, et continua... par près de 200 autres. Il renouait ainsi avec la tradition rochefortaise du bégonia, C'est en effet à Rochefort que débarque vers 1690 une petite plante aux feuilles grasses et aux fleurs rondes récoltée en Amérique par le père Plumier, minime de son état, pour le compte de l'intendant de la ville, Michel Bégon. Délaissant les appellations locales, il la baptisa du nom de Begonia flore roseo folio orbiculare, devenu plus tard Begonia rotundifolia. En 1985, on apprend qu'une des plus belles et des plus complètes collections de bégonias de France est en voie de disparition. celle d'un horticulteur, Vincent Millerioux. Environ 200 espèces, des plus communes aux plus rares. La collection sera sauvée grâce à son acquisition par la Ville de Rochefort. La collection Millerioux est maintenant installée dans les serres de la municipalité. Aujourd'hui, elle compte environ 1500 espèces, ce qui la place au premier rang dans le monde.

Connu d'un petit cercle d'initiés collectionneurs, d'amateurs éclairés, Vincent Millerioux était un passionné de plantes en général, et de plantes rares en particulier. Les collections qu'il a transmises, parfois éparpillées, mais tirant toutes leur source de sa foi végétale, sont là pour en témoigner. Fuchsia, Begonia, Gesneriaceae, Passiflora, Cyperus, Datura: il était prêt à tout conserver, pourvu qu'il sorte de la "grande cavalerie", comme il disait.

 

Un jardinier d'autrefois

Vincent Millerioux, c'était le regard malicieux d'un petit homme toujours vif malgré l'âge, les yeux pétillants sous sa casquette de vieux paysan. C'était aussi une patience infinie et un courage propres aux jardiniers d'autrefois. C'était encore la rigueur de l'ancien combattant, l'ouverture d'esprit d'un grand-père bon enfant, la gentillesse et la simplicité de ceux qui ont déjà vécu. Fils de vigneron, il avait d'abord été maraîcher et connaissait, avant tout le monde, ces vieux légumes aujourd'hui oubliés. Se tournant progressivement vers les plantes tropicales, aux alentours de 1930, il constitue rapidement une formidable collection de cactées et plantes grasses. Parti en captivité au début de la seconde guerre mondiale, il revient pour constater le désastre tout a gelé, rien n'a survécu. Il ne se décourage pas, et recommence. Il revient à ses premières amours, et cultive du radis, qu'il vendra trois semaines plus tard sur le marché. Cela pourrait tenir de l'anecdote, c'est déjà un combat. Il reconstruit quelques châssis. En 1950 il rebâtit, une première serre, et s'intéresse alors à la culture de plantes jusque-là inconnues ou peu commercialisées. Le virus de la collection l'a repris et ne le quittera plus.

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Les premiers bégonias

En 1961, il commence à s'intéresser aux Begonia. Son fils Gérard l'assiste désormais. Ils ont, ensemble, constitué une société, construit de nouveaux locaux. Le marché est encore local, mais il s'organise. Petites plantes à massif, Cyclamen et Begonia cv. Gloire de Lorraine: la "grande cavalerie" , "l'alimentaire" aident à vivre, et assurent les arrières. Parallèlement, les Begonia rex ont attiré ses regards. Séduit par leur feuillage, il achète les premiers, sélectionnés d'abord pour leur intérêt esthétique et éventuellement commercial. Puis, piqué au vif par l'inconnu, il s'attache aux nouvelles formes, aux feuillages étonnants. Il expérimente, à son échelle des substrats et se spécialise. Vingt ans plus tard, il aura consigné scrupuleusement plus de quinze formules "spéciale bégonia", qu'aucun fabricant de substrat ne réussira jamais à égaler. Ses Fuchsia forment sa seconde passion. Mais s'il a été un peu plus connu pour ses Begonia, il avait réuni un plus grand nombre de Fuchsia. En 1985, à sa cessation d'activité, il en possédait plus de 400 espèces et hybrides.

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Un homme aux doigts verts

Poursuivant la culture de plantes en pot traditionnelles et de plantes à massif, le père et le fils multiplient leur collection. Patiemment, la surface couverte s'agrandit. Dans les années 70, ils abandonnent progressivement les potées fleuries traditionnelles, pour se consacrer encore davantage aux Begonia, Fuchsia et autres végétaux de collection. En effet, tout ce petit monde s'est développé. Après s'être d'abord vu fermer les portes des jardins botaniques à qui il proposait timidement des échanges, Vincent Millerioux est maintenant sollicité régulièrement. Il détient effectivement des merveilles, et de surcroît, est parfois le seul à pouvoir conserver une souche un peu difficile, ou récupérer un bout de tige à demi desséchée ou pourrie, en provenance du Gabon, pour en faire un Begonia squamulosa. Les passiflores, les Thunbergias et autres plantes volubiles s'entrelacent désormais au dessus des fuchsias. Ses fabuleux doigts verts et son greffoir font des miracles. Les journalistes et photographes commencent à le connaître, viennent le consulter, prendre un cliché de Passiflora coriacea ou d'Hypocyrta glabra en pleine floraison. Les amateurs se pressent nombreux toute la semaine, dimanche compris, pour acheter une grosse potée ou se faire offrir une petite bouture. Vincent et ses enfants, Michelle et Gérard, accueillent tout le monde avec le même sourire, et n'hésitent jamais à passer des heures à présenter leurs plantes. Les meilleurs moments se passent à la fraîche, matin ou soir, quand du sol de terre battue se dégage I'humidité. Les senteurs de la serre s'exhalent, révélant la fragrance des Datura ou du Begonia solananthera. Si, à ce moment, vous êtes l'un des rares privilégiés à pouvoir circuler librement dans les serres, le rêve est presque réalisé. Presque, car il manque toujours ce que lui seul détenait, ce complètement: la connaissance de tous ces végétaux. Vincent Millerioux s'est éteint au début de 1991, sans faire plus de bruit qu'il n'en avait fait sa vie durant. Il faisait froid, en cette fin d'après-midi du 18 février. ce froid , qu'il a toujours redouté pour ses plantes et qui l'avait poussé, en 1986, à se séparer de ses protégées et à cesser définitivement toute culture. Il a pourtant eu un peu plus froid d'un seul coup. emporté en quelques heures, sans souffrir, peut-être même avec ce sourire effacé qu'il avait toujours; si effacé que, ce jour-là, les amateurs l'avaient oublié, ceux qui s'émerveillaient, attendant une bouture, une rareté qui viendrait couronner leur après-midi de visite n'étaient plus là. Et il faisait encore plus froid ce jour-là, dans la petite église de Presles, car nous n'étions que trente à l'accompagner. Ce fut pour beaucoup d'entre nous un maître et, pour certains privilégiés, un ami. Il avait vu plusieurs fois l'ouvrage de sa vie détruit et, sans mot dire, l'avait rebâti. Il avait beaucoup travaillé, souvent peiné, mais se disait heureux et pas seulement par pudeur: il devait l'être vraiment.

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