[Epiphytes : Une petite définition] [Peu de bégonias strictement épiphytes] [Beaucoup d’autres occasionnels]

[Épiphytes, saxicole, chasmophytes ou cremnophytes]

Begonia L. : de l’épiphyte classique à la recherche de la verticalité

Jérôme Duclos

 

Merci de citer ce travail comme suit :

DUCLOS Jérôme (2003)

Begonia L. : de l’épiphyte classique à la recherche de la verticalité

Le Bégofil, Bulletin de l’Association Française des Amateurs de Bégonias – ISSN 1162-9991

N°57, hiver 2003 et n°58, printemps 2004

 

Zone de Texte: Figure 1 Acanthostachys strobilacea, broméliacée épiphyte sud-américaine

Zone de Texte: Figure 2 B. kisuluana Büttner

Zone de Texte: Figure 3 Fleur femelle de B. molleri C.DC

 

Épiphyte : Une petite définition s’impose :

 

D'étymologie grec, ce terme est composé des mots epi signifiant "sur" et phuton signifiant "plante". Il désigne des végétaux qui assurent la totalité de leur cycle biologique (de la naissance à la mort) sur d'autres plantes – généralement des arbres – sans relation trophique, c'est à dire sans parasitisme.

Maladroitement, nous pensons souvent que les plantes qui vivent sur les arbres en tirent un substantiel profit. Il est donc important d'opérer une distinction fondamentale entre plantes parasites (rares dans le règne végétal) et plantes épiphytes (abondantes aux cœur des forêts tropicales).

Les plantes parasites, stricto-sensu, sont à la fois dépourvues de chlorophylle et de racines. Elles ne peuvent alors ni produire des sucres grâce à l'énergie lumineuse (photosynthèse liée à la chlorophylle) ni puiser l'eau et les sels minéraux du sol. Sans aucune autonomie alimentaire, elles ont su développer de puissants suçoirs qui pénètrent le bois pour détourner le flux de sève affaiblissant ainsi leur hôte.

         A l'inverse, les épiphytes sont des végétaux pacifiques qui disposent d'une parfaite autonomie nutritionnelle sans nuire à leur support. Ils trouvent leur  nourriture dans les anfractuosités de l'écorce, à l'aisselle des branches où des débris végétaux  se sont accumulés et dégradés en humus au fil du temps. Sur ces sols suspendus ainsi formés, de petites mousses vont croître pour stabiliser l'ensemble et permettre la germination de graines souvent dispersées dans les déjections animales (endozoochorie).

         Funambules suspendues à l'air du temps, nos épiphytes se sont élevées au dessus du sol à la recherche de la clarté, denrée rare et précieuse au cœur des forêts denses où souvent moins de 1% de la lumière directe parvient jusqu'au sol du sous-bois. Elles ponctueront leur milieu par des floraisons souvent chatoyantes et généreuses qui se rencontreront des branches les plus basses aux frondaisons de la canopée. Grand nombre d'orchidées (Phalaenopsis sp. ; Vanda sp.), de fougères (Davalia sp. ; Asplenium sp. ;  Platycerium sp.) et de broméliacées (tillandsia  sp.) affectionnent particulièrement ce mode vie et certains bégonias ont, eux aussi, choisis cette existence…

 

Figure 4 B. polygonoides JD Hooker, mis en situation lors d'une exposition

Figure 5 B. fulvo-setulosa Brade, ici cultivé en terrarium dans une petite poche de substrat aménagée dans un rondin

Figure 6 B. lanceolata Vellozo, épiphyte brésilien de la section Trachelocarpus (C. Müller) A.DC. , cultivé en terrarium

[Haut de page]

Peu de bégonias strictement épiphytes…

 

         Le genre Begonia L. est l'un des plus important du règne végétal avec aujourd'hui plus de 2000 représentants (taxons) différents connus dans la nature. Pour des facilités de classification il est subdivisé en de nombreuses sections (63 exactement, d'après les travaux des professeurs Doorenbos, Sosef et De Wilde de l'Université de Wageningen, aux Pays-Bas). Seules trois de ces sections comportent des espèces véritablement épiphytes. La première, originaire du Brésil, se nomme Trachelocarpus (C. Müller) A. DC. c'est une petite section qui comprend seulement 6 espèces. Les deux autres sont africaines, la section Squamibegonia Warb. regroupe 3 espèces et la section Tetraphila A. DC. est la plus importante avec 28 espèces qui sont pour la plupart épiphytes. Nous cultivons dans notre collection des espèces appartenant à chacune de ces trois sections.

         L’étude comparée des sections montre des différences notables entre la section américaine et les deux sections africaines – qui restent, entre elles, plutôt homogènes.

         Les bégonias brésiliens de la section Trachelocarpus (C. Müller) A. DC.  sont de petites plantes trapues et robustes relativement succulentes qui semblent bien être adaptées à un milieu relativement sec et au manque d’espace, leur rhizome court leur permettant de s’insinuer dans la moindre anfractuosité de l’écorce à la recherche de micro-poches de nourriture. Leur fructification est relativement conventionnelle puisqu’ils produisent - comme la quasi-totalité des bégonias - des capsules sèches qui s’ouvrent à maturité (fruit loculicide) pour laisser s’échapper des graines qui tomberont soit sur la litière (où elles auront des chances limitées de survie), soit au pied de la plante mère formant certainement des populations denses mais disposant d’une aire de répartition limitée. Ils portent des feuilles souvent épaisses et cireuses plus ou moins lancéolées aux stipules persistantes.

         Les bégonias des deux sections africaines sont, par leur port et leur fructification radicalement différents. Ce sont des plantes souvent de grande taille aux tiges érigées (sect. Squamibegonia Warb.) puis retombantes (Sect.  Tetraphila A. DC.) mesurant souvent plus de 2 mètres de long et pouvant devenir ligneuses au moins à la base.

 

Figure 7 B. capillipes Gilg

 

Figure 8 B. elaeagnifolia JD Hooker

Figure 9 B. furfuracea JD Hooker

Figure 10 B. horticola Irmscher

Figure 11 B. komoensis Irmscher

Figure 12 B. mannii JD Hooker

Figure 13 B. polygonoides JD Hooker

Quelques espèces appartenant à la section Tetraphila A.DC.

 

Ils ont donc besoin d’espace et doivent trouver des poches ou des manchons d’humus conséquent pour se fixer. Même s’ils demeurent relativement succulents au niveau de leur feuillage ils disposent de réserves plus limitées que les petits rhizomateux américains.

         Leur point fort est leur fructification. En effet, ils produisent des fruits charnus qui demeurent exceptionnels dans le genre Begonia L.. Ce fruit charnu et coloré s’ouvrira dans certains cas (Sect. Squamibegonia Warb.) pour exposer un placenta à la teinte vive qui attirera des animaux, oiseaux et petits mammifères, qui se régaleront de ces fruits savoureux et qui, de branche en branche, disperseront dans leurs déjections les graines qui trouveront ainsi plus facilement un sol suspendu favorable à leur germination.

         Cette stratégie semble très efficace puisque les bégonias de ces 2 sections sont ceux qui disposent de l’aire de répartition la plus importante de toutes les espèces africaines. Ils se rencontrent des îles de Sao Tomé et de Fernando Po à l’Afrique de l’est en passant par l’Afrique centrale et quasiment tous les pays bordant le golf de Guinée.

Il est intéressant de souligner qu’épiphytes américains comme africains (comme de nombreuses dicotylédones) n’ont pas développé d’adaptation particulière du système racinaire, sauf l’apparition de racines adventives fréquentes dans le genre Begonia L.. Ainsi, à l’inverse de nombreuses monocotylédones (Orchidées, Aracées), les bégonias ne possèdent pas de racines charnues et chlorophylliennes, recouvertes d’un voile blanc (le velum ou velamen) qui agit comme une éponge en se gorgeant d’eau.


 

Figure 14 Fleurs femelles de la section Tetraphila A.DC., l’ovaire infère – qui donnera le fruit – est visible à l’arrière. De gauche à droite : B. komoensis, B. polygonoides, B. capillipes, B. horticola, B. molleri

 

 

 

 

   Figure 15 Fruit de B. horticola

[Haut de page]

… Mais beaucoup d’autres occasionnels :

 

Même si nous avons vu que très peu de bégonias sont strictement épiphytes, beaucoup d’autres le sont de temps en temps. Grâce aux publications de l’université de Wageningen (Pays-Bas) nous disposons d’un grand nombre d’information sur l’écologie des espèces africaines et particulièrement sur celles vivant à l’ouest de ce continent. Les données collectées dans ces ouvrages sont synthétisées sous forme de tableaux qui permettent de mettre plus facilement en valeur certaines caractéristiques.

Comme exemple je reprendrai ici les données concernant la section Loasibegonia A.DC.. Cette section, dont l’aire de répartition s’étend de l’Afrique de l’ouest à l’Afrique centrale, comprend 19 espèces. Toutes ces espèces, sans exception, se rencontrent au niveau de la litière. Mais 7 d’entre elles (soit environ 37%) se retrouvent fréquemment en épiphytes. Il en va de même pour un grand nombre d’autres sections qu’elles soient africaines, asiatiques ou américaines.

[Haut de page]

 

Épiphytes, saxicole, chasmophytes ou cremnophytes :

Les bégonias ne sont pas sur la mauvaise pente !

 

         Les bégonias apprécient donc les sols suspendus q’offrent les arbres, mais aussi ceux des anfractuosités rocheuses qui contiennent des petites poches de nourriture, les bégonias qui ont choisis ce mode de vie sont nommés chasmophytes[1].

En sous bois très humide, certaines espèces colonisent même les faces verticales des rochers où l’on note une absence totale de litière, se sont les saxicoles[2]. Mais ces rochers toujours humides sont recouverts d’algues, de lichens ou de mousses qui permettent la fixation du système racinaire (souvent limité) et la rétention de l’humidité.


 

Figure 16 B. staudtii Gilg var. dispersipilosa Irmscher – Section Loasibegonia

 

Figure 17 B. microsperma Warburg – Section Loasibegonia

 

Les bégonias – et les autres végétaux – qui poussent sur des talus terreux sont nommés cremnophytes[3], le sol y est plus fertile mais la vie plus précaire en raison de l’instabilité du support qui est soumis au aléas du temps notamment à de petits glissements de terrain.

          Les bégonias, même s’il sont rarement des épiphytes stricts recherchent souvent des milieux verticaux où la compétition et la concurrence sont moindre que dans les zones plus accessibles du sous-bois. Leur meilleur atout dans cette quête semble être leur graine qui est l’une des plus petites du règne végétale, avec en moyenne 1/10e de millimètre de longueur. Là où – telles Sisyphe – les grosses graines lourdes dévaleront la pente, celles des bégonias se blottiront dans des micro-anfractuosités ou seront retenues par les mousses qui leur offriront un terrain propice à la germination.

[Haut de page]

 

Orientations Bibliographiques :

 

BLANC Patrick, Etre plante à l’ombre des forêts tropicales Nathan 2002

BOULLARD Bernard, Dictionnaire de Botanique, Ellipses 1988

BILLY Cécile, Glossaire de Botanique, Editions Lechevalier 1991

JEAN-PROST Pierre, La Botanique : Applications agricoles et horticoles, Tomes I et II, Editions J.B. Baillère 1986

PUIG Henri, La forêt tropicale humide, Belin 2001

RAYNAL-ROQUES Aline, La Botanique redécouverte, Belin/INRA 1994

SOSEF M.S.M., Studies in Begoniaceae V, Wageningen Agricultural University Papers, 18 february 1994



[1] Du grec kasma signifiant ouverture

[2] Du latin saxum signifiant rocher

[3] Du grec Cremao signifiant suspendre