Begonia ampla J.D. Hooker et sa fructification

Patrick Rose

 

Merci de citer ce travail comme suit :

ROSE Patrick (2003)

Begonia ampla J.D. Hooker et sa fructification

Le Bégofil – Bulletin de l’Association Française des Amateurs de Bégonias – ISSN 1162-9991

N°57, Hiver 2003

        

Pour la première fois au Conservatoire, un Begonia ampla a fructifié. A cette occasion, j'ai effectué quelques recherches sur cette espèce qui s'avère passionnante. Une jeune plante nous avait été donné il y a quelques années par Henri LAPORTE au retour de son voyage à Sào Tomé. Espèce difficile qui ne tenait bien qu'en terrarium, mais dont les proportions limitaient rapidement ce mode de culture. Depuis 18 mois environ, deux pieds se sont particulièrement bien développés, l'un en pleine terre sur une tablette, et l'autre dans du substrat à Orchidées, sous brumisation (bref, en tentant de reconstituer son mode de vie épiphyte). Ces deux pieds fleurissent régulièrement, et cet été, Christophe qui gère plus spécialement la petite serre où nous avons placé les botaniques a tenté la fécondation du pied en pleine terre.

Deux fleurs femelles ont été fécondées mi-juin 2003 par des fleurs mâles du même pied (Récolte  du 23 octobre)

 

Figure 1 Fruits de B. ampla J.D. Hooker

Figure 2 C’est une baie de la taille d’une fraise

 

 

Begonia ampla Hook. F. in OLIVER, Fl; Trop. Afr. 2:574, 1871

Collectes sur Fernando Po, São Tomé, Principe, Annobon, Gabon, Cameroun, Guinée Équatoriale, Congo, Zaïre, Ouganda, Rwanda

Description (résumée) : Tige épiphyte, rarement ramifiée, jusqu'à un mètre de long, mais jamais plus d' 1,5 cm de diamètre. Entre-nœuds d'environ 5 cm, souvent plus courts.

Les feuilles larges (environ 10 cm), cordiformes, presque circulaires, ont de longs pétioles (jusqu'à 20 cm), parfois colorés de rouge (il faut noter sur la photo prise in situ par HL, la tache brune sur la nervure centrale, qui prolonge en quelque sorte le pétiole, et que le Dr De Wilde, spécialiste hollandais de ces Bégonias africains m'a dit n'avoir jamais observé). Parfois légèrement poilues dans la nature, elles sont souvent presque glabres en serre, sans doute par manque de lumière.

Les inflorescences sont axillaires, protandres comme la grande majorité des Bégonias, mais elles sont données comme "androgynes", et il faut bien reconnaître une certaine similitude visuelle, jusqu'à une certaine distance entre les fleurs des deux sexes.

Là, je me suis interrogé, et si quelqu'un a une réponse, je suis preneur, quel peut bien être le but d'une telle manœuvre pour la plante ?

Effectivement, dans cette section Squamibegonia la croissance des fleurs est très différente des autre bégonias africains eux-mêmes, puisque si la fleur mâle a un aspect très ordinaire (2 "tépales", 20 à 25 étamines), la fleur femelle présente un ovaire fusiforme, qui s'évase, portant très haute les deux "tépales" et quatre styles, comme sur un pédoncule. L'ovaire est comme souvent chez les espèces africaines, à quatre loges, à placentation axile.

Les tépales des deux sexes sont blancs, presque ronds, d'environ 2 cm de diamètre, mais, détail amusant, sur chaque sexe, un seul est légèrement veiné de rouges au cœur.

Le fruit est "bacciforme" (en forme de baie). Il a la taille d'une belle fraise, jaune orangée. La pièce d'un euro donne l'échelle. Ces fruits sont certainement parmi les plus volumineux des africains botaniques puisque nous avons mesuré pour le plus gros, 37 X 20 mm. Rappelons que notre spécimen nous a été donné par Henri LAPORTE, qui l'avait ramené de Sao Tomé. Il semble bien, d'après différentes descriptions que si l'espèce a une aire de répartition très vaste, un seul spécimen collecté sur São Tomé présentait des fruits de cette taille.

Nous avons pu vérifier que le fruit tombe à maturité, comme indiqué dans les descriptions d'origine. Nous avons effectivement récolté le premier fruit tombé pendant la nuit et le second s'est détaché après un léger effleurement.

Il semblerait que, dans la nature, la paroi se désagrège, un peu comme un fruit qui "pourrirait". Cette baie est légèrement odorante, et l'odeur rappelle celle d'une nèfle du japon (Eriobotrya japonica), ce qui peut sans doute aider à sa consommation par les animaux.

Après une semaine de séchage supplémentaire, les graines se détachent au toucher, et nous venons de semer les premières. Notons que les graines sont restées "collées" et ne se détachent pas naturellement, comme sur les capsules sèches à fente déhiscentes qui constituent habituellement les fruits des Begonia. Peut-être est-ce dû au séchage, peut-être aurions-nous du laisser à l'humidité, comme dans la nature.

Les graines sont très fines (0,1 mm), et je dois avouer que je ne suis pas certain de leur "viabilité".

 

Écologie, Biologie :

Mode de vie le plus souvent épiphyte, le plus souvent sur des troncs d'arbre, parfois sur des rochers, (EXELL : croissance perpendiculaire sur un rocher sur l'île de Principe ; GROENENDIJK à São Tomé ; LEEUWENBERG, à la fois sur troncs et rochers au Cameroun, Mont Nlonako ; BRETELER & DE WILDE, sur rocher humide des chutes de la Rivière Tchimbélé au Gabon).

La plupart des spécimens récoltés sur le continent l'ont été vers 500 m à 2 exceptions près : altitude record de 1800 m au Zaïre (BEQUAERT, Ruwenzori Mountains) et à la même altitude en Ouganda (S. PAULO, Kigezi District). A l'inverse, les récoltes effectuées dans les îles du Golfe de Guinée se situent toujours à peu près au niveau de la mer. Toutes ces îles ont un climat équatorial typique, avec une pluviométrie importante et une très haute humidité.

 

L'un des points d'intérêt de cette espèce réside dans son mode de dissémination que l'on présume "endozoochore". Ce terme bizarre désigne en fait une dissémination (-chore) à l'intérieur (endo-) des animaux (-zoo-). En d'autres termes, l'animal avale, digère, à l'exception de la graine, et "restitue" à la nature ... par des voies naturelles. L'animal peut ici être oiseau ou peut -être même singe.

D'après les scientifiques, seul ce mode de dissémination peut expliquer l'aire de répartition très vaste de cette espèce et des deux autres espèces de la section  Squamibegonia : B. bonus-henricus et B. poculifera. (Rappelons que la majorité des Bégonias ont une capsule sèche à fente déhiscente, et que c'est le vent qui le plus souvent emmène les graines très fines.)

 

Culture : certainement difficile en intérieur. Nous le cultivons en serres tempérées (2 différentes, à 18 ° en hiver, jusqu'à 40° cet été), assez humides, mais sans aller jusqu'au terrarium. Un pied est cultivé en pot sur une tablette, et une tige a marcotté sur le substrat de la tablette. Après section, il s'est définitivement enraciné. Un second pied issu d'une bouture du premier est cultivé en substrat à orchidée (écorce de pin grossière), dans un pot plastique à maille ajourée (type plante aquatique), suspendu sous une brumisation régulière (12 X 90 secondes chaque jour). Beaucoup de lumière. Nous ne sommes jamais allé jusqu'au plein soleil. Dans les deux cas, la floraison est régulière, et deux à trois fleurs se succèdent habituellement.

 

Bibliographie :

J.J.F.E. de Wilde & J.C. Arends. 1980. Begonia section Squamibegonia Warb.: a taxonomic revision. Misc. Papers Landbouwhogeschool Wageningen 19: 377-421.

Une grande part de ce texte, notamment Écologie, Biologie est inspirée de ce travail, traduit et résumé

 

Quelques sites ou liens sur B. ampla ou les épiphytes africains :

http://www.ggcg.st/botany/begonias_stp.htm : GULF OF GUINEA ISLANDS' BIODIVERSITY NETWORK : The genus Begonia L. (Begoniaceae) in São Tomé and Príncipe (en anglais, plutôt sur les B. épiphytes africains).

http://mobot.mobot.org/W3T/Search/image/iix208.html : en anglais, le site du Missouri Botanic Garden, avec quelques photos de bégonias très particuliers, et des localisations très précises d'un grand nombre d'espèces

http://www.begonias.org/begonian/begonianItem.asp?ArticleID=23 : en anglais, très intéressant article sur les Bégonias africains, paru en 1983 dans The Begonian, avec plusieurs photos. Il cite un article de Millie Thompson sur B. ampla, mais je n'ai pas trouvé celui-ci.

 

Merci de citer ce travail comme suit :

ROSE Patrick

B. ampla J.D. Hooker et sa fructification

Le Bégofil – Bulletin de l’Association Française des Amateurs de Bégonias

N°57, Hiver 2003